Quiconque quitte une zone monétaire est soupçonné de chercher la dévaluation. Mais quand on imagine que les Allemands pourraient quitter la zone euro, on les pense plutôt en quête de réévaluation pour améliorer les termes de leurs échanges. De tels cas historiques furent rares. Le plus connu est celui de la naissance de la couronne tchécoslovaque, en 1919. Son père fut Alois Rasin.
Né le 18 octobre 1867 en Bohême, il fait des études de droit à Prague. Il rejoint le mouvement Jeune Tchèque et fait deux ans de prison entre 1893 et 1895 pour ses activités anti-autrichiennes. Elu député en 1911, il est arrêté en 1915 comme "espion français" et ne doit la vie sauve qu'à l'amnistie qui suit le décès de l'empereur d'Autriche François-Joseph fin 1916.
En 1918, il devient le premier ministre des finances de la jeune Tchécoslovaquie et crée, en février-mars 1919, la couronne tchécoslovaque en prenant quatre décisions majeures. Premièrement, il diffère la création d'une banque centrale. Pour qu'une telle banque existe, il faut, face au passif que constitue la circulation fiduciaire, un actif qui, à l'époque, est essentiellement de l'or, or qui peut être en partie des devises convertibles comme des dollars ou des livres sterling et, accessoirement, de la dette publique. Mais en mars 1919, l'or est à Vienne et rien n'est clair sur la façon dont la dette austro-hongroise sera traitée. Rasin crée un office d'Etat chargé des problèmes monétaires qui sert de préfiguration à la banque centrale (créée en 1926).
Deuxièmement, il isole la circulation monétaire du pays de celle de l'ancien empire. Il instaure un contrôle des changes et substitue l'Etat tchécoslovaque à la Banque nationale autrichienne. Concrètement, 30 % des billets en circulation sont retirés et présentés à Vienne pour remboursement. Les billets restants sont estampillés aux armes du nouveau pays, l'Etat n'ayant pas les moyens de fabriquer de nouvelles coupures.
Troisièmement, pour couvrir la circulation fiduciaire ainsi constituée, l'Etat, garant de la contrepartie monétaire, crée un compte spécial alimenté par un impôt sur le capital. Pour les agents qui détiennent de la nouvelle couronne, il n'existe de possibilité d'échange que contre un titre de dette publique portant droit à remboursement grâce à cet impôt, titre libellé en couronnes ! Bref, la couronne est gagée sur... la couronne.
Quatrièmement, pour obtenir des devises, il entreprend une politique de déflation, c'est-à-dire de contraction de la demande par des hausses d'impôts afin de réduire les importations et de dégager des excédents extérieurs.
A Vienne, le célèbre économiste Joseph Schumpeter (1883-1950), l'accable de sarcasmes. Pour Schumpeter, Rasin ne comprend rien à l'économie et court à l'échec. Et pourtant, alors que la monnaie autrichienne, à l'instar du mark, s'abîme dans l'hyperinflation, la réforme monétaire de Rasin marche.
La confiance, cet élément essentiel du succès d'une politique économique, est là. Confiance fondée sur le patriotisme des Tchécoslovaques ; mais aussi confiance des opérateurs de marché, notamment autrichiens et hongrois qui, affolés par les troubles politiques de leurs pays, placent leurs capitaux à Prague, capitale d'un Etat démocratique stable.
Mais, en 1922, la déflation s'aggrave : les prix baissent de 40 %, les salaires de 30 %. Rasin, devenu la bête noire de l'extrême gauche, est assassiné en janvier 1923.
D'après Jean-Marc Daniel ECSP-Aurope Le Monde daté du 8 juin 2010
Un petit commentaire : Joseph Schumpeter avait une audience très grande auprès des spécialistes. Il y a encore quelques années on le citait comme une référence. Clin d'oeil à mes amis tchèques et revanche d'une économie dont le caractère cyclique est oublié par le plus grand nombre : il y a seulement quelques mois la République Tchèque était moquée par les bien pensants Français. Il est certain que le Président Klaus est quelque peu, disons, anachronique. Il est un fait que la République Tchèque est un petit pays... toutes raisons qui conduisent à un certain mépris d'une "grande" puissance comme la France ... Aujourd'hui, alors que l'Euro est attaqué de toutes parts, on n'entend plus les moqueries sur la Couronne tchèque. Pour tout dire on ne sait plus quoi dire et surtout quoi faire. Comme me l'avait indiqué un banquier tchèque, du moins franco-tchèque de par sa naissance, la République Tchèque viendra à l'Euro le moment venu à l'heure du choix.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire